23 octobre 2024

Le dialogue social au service de la qualité du travail

Par Marianne Salvetat-Bernard

Revues des Cadres n°500

En juin 2022, l’association Réalités du dialogue social a créé un groupe de réflexion avec des membres et partenaires pour questionner le « sens au travail » dans une démarche paritaire.

En juin 2022, l’association Réalités du dialogue social a créé un groupe de réflexion avec des membres et partenaires pour questionner le « sens au travail » dans une démarche paritaire.

Lors des échanges entre représentants d’employeurs et de salariés, conscients des enjeux concrets du travail, la qualité du travail s’est imposée comme terrain d’enquête. Pour comprendre cette notion et où se situait le dialogue, trente-trois entretiens ont été menés de juin 2022 à mai 2023 avec des représentants élus du personnel et/ou syndicaux et des dirigeants, direction de ressources humaines et direction des relations sociales, de tous secteurs (médicosocial, service à la personne, informatique, aide à la restauration, assurance, mutuelle, édition, spectacle, industrie, etc.), public ou privé, d’effectif variable. L’étude publiée en octobre 2023 a montré que plusieurs représentations de la qualité du travail cohabitaient : côté syndical, une approche par le travail réel est évoquée avec les réalités du travail, le « vrai boulot », la question des temps invisibles, l’organisation du travail ou la qualité des matières premières ; côté employeur, le contrôle du résultat domine comme l’appréhension de la qualité du travail au travers des exigences de conformité, de la façon de la mesurer pour éviter la subjectivité.

Cette exploration a montré une qualité du travail dégradée par des facteurs comme :

– l’intensification du travail, la pression managériale, le manque de temps pour bien faire conduisant les syndicats à considérer cruciale une réflexion sur les temps et déplacements alors que le besoin de reconnaissance de leur travail et le fait de pouvoir en parler sont avancés comme critères de sens au travail ;

– la pression économique présentée comme facteur de qualité empêchée, et partagée par les interviewés puisque même les représentants d’employeurs constatent un effet sur l’exigence de performance lors de difficultés économiques quand les représentants de salariés questionnent la rentabilité à court terme.

Elle a également permis de mettre en évidence comme incontournables de la qualité du travail : l’importance d’un collectif soudé, du rôle de l’équipe, et du fait de participer à l’élaboration du contenu du travail. Les salariés sollicitent également une approche ergonomique de leur poste à l’image des politiques inclusives, la construction d’un projet à forte valeur d’engagement, et la nécessité de prendre le temps de points réguliers pour « faire ensemble ».

Parallèlement, constat fut fait d’un management en souffrance : turnover croissant (volontaire ou subi), valorisation de la fonction en perte de vitesse (souffrance psychique et position difficile pour l’admettre, parole bloquée), avec une charge de travail en augmentation ; les managers n’ont pas toujours de réponse à donner aux salariés, ni de moyens de faire remonter les problèmes, ce d’autant que les générations n’ont pas les mêmes attentes.

Pourtant organisations syndicales et employeurs se retrouvent sur l’importance de l’encadrement dans la reconnaissance de la qualité du travail. Pour s’en emparer, diverses propositions ont émergé comme une charte, l’officialisation d’un « droit à l’erreur », le développement d’un outil de culture managériale suite à une fusion, une réflexion forte sur le réseau de proximité comme gage de diminution des AT/MP (accidents du travail et maladies professionnelles), ou des formations innovantes sur la santé mentale ou le sens de l’action.

L’impact de la qualité du travail s’est aussi porté sur l’attractivité et la valorisation des métiers avec une différence de traitement générationnel pour attirer les talents, des problèmes de reclassement sur des postes qui disparaissent sans anticipation ou l’absence de prise en compte du territoire et la perte de savoir-faire. Pourtant des initiatives fonctionnent comme la discussion sur le travail lors de l’élaboration avec les organisations syndicales de fiches d’emplois-repères, ou la proposition d’entreprise apprenante quand elles sont portées par la gouvernance.

À la question « Où se situe le dialogue sur la qualité du travail ? », les interviewés le situent dans le domaine des risques psychosociaux, des troubles musculosquelettiques et les rythmes de travail, donc plutôt autour du document unique d’évaluation des risques, des certifications ou des dispositifs d’événements indésirables.

Quant au dialogue social, de nombreuses difficultés ont été rapportées dont un accès difficile au terrain, le blocage d’informations ou leur perte entre les niveaux de représentation, des problèmes de communication entre les instances et avec les salariés (notamment dus à une moindre proximité), une faible consultation ou négociation sur les enjeux de la qualité du travail, accrus en cas de sous-traitance.

En parallèle des entretiens, une analyse d’accords QVCT a été menée. Des initiatives de négociation qui prennent en compte la qualité du travail ont été identifiées dont la négociation d’espaces de discussion sur le travail, son organisation, son contenu, un entretien annuel innovant (intégrant également l’organisation du travail et la pénibilité) ou le volet d’un accord collectif sur la valorisation des métiers.

Tous ces éléments soulignent le nécessaire appui du dialogue social au dialogue professionnel avec une représentation de proximité pour un accès en local et une parole sécurisée. En ce sens, plusieurs propositions pour mener à bien cette négociation collective ont émergé (diagnostic partagé, indicateurs, accord-cadre ou de méthode, expérimentations, inclusion, regard pluridisciplinaire, comité de suivi, etc.). Face au risque toujours plus accru de qualité empêchée et la tyrannie de l’urgence dans un contexte actuel de travail accidenté, les accords QVCT s’avèrent un moyen de formaliser les modalités du dialogue sur le travail (travail réel, latitude décisionnelle, organisation du travail, outils coconstruits) et permettre la pérennité dans le temps de ce qui a été négocié.

Cette enquête-étude, « travail vivant » et instantané du vécu de représentants de salariés et d’employeurs, illustre les dimensions de la complexité actuelle et le besoin des salariés d’avoir leur place. Quand la qualité du travail n’est pas prise en compte, la perte de sens se révèle. Le dialogue social a alors un rôle déterminant à jouer.