Dans son analyse consacrée à la surcharge mentale, Laurent Tertrais offre un regard incisif sur l’une des problématiques les plus insidieuses du monde professionnel contemporain. Il explore non seulement les causes et conséquences de ce phénomène, mais aussi les pistes de solution pour retrouver du sens au travail.
Un fardeau invisible mais omniprésent
Tertrais décrit la surcharge mentale comme un mal subtil qui traverse tous les secteurs et s’impose aux individus dans un silence troublant. Il affirme :
« Le travail sans temps mort ou informel, interrompu, surchargé d’informations, invisibilisé par un reporting le réduisant à sa valeur financière. »
Cette surcharge est le résultat d’une organisation du travail centrée sur l’efficacité, les résultats immédiats, et la production de données pour le pilotage stratégique. Les professionnels sont souvent submergés par des tâches multiples, des objectifs contradictoires et des interruptions constantes. Ce phénomène, renforcé par les outils numériques et les systèmes de reporting, crée un sentiment de perte de contrôle.
Tertrais critique une culture du travail où l’essentiel n’est plus de produire un résultat significatif, mais d’alimenter des indicateurs de performance. Dans ce contexte, la qualité subjective du travail devient secondaire, voire négligeable.
Les conséquences psychiques et physiques de la surcharge
La surcharge mentale ne se limite pas au cadre professionnel : elle déborde sur la vie personnelle, envahissant les espaces autrefois dédiés à la récupération.
Tertrais alerte sur le fait que :
« la fatigue cognitive dépasse le simple cadre du bureau pour envahir le quotidien. »
Les salariés perdent leur capacité à déconnecter, leurs moments de repos devenant eux-mêmes parasités par l’angoisse de ce qu’ils n’ont pas accompli ou par l’anticipation de nouvelles charges. Ce stress prolongé engendre des conséquences multiples : troubles du sommeil, irritabilité, perte de concentration, voire des pathologies plus graves comme le burn-out.
Cette tension permanente affecte également la créativité et la satisfaction au travail. Les employés surchargés peinent à trouver le temps nécessaire pour réfléchir, prioriser ou se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée.
Des solutions superficielles face à des causes profondes
Les réponses des entreprises face à la surcharge mentale sont souvent insuffisantes, car elles traitent les symptômes plutôt que les causes structurelles. Tertrais pointe avec justesse cette inadéquation :
« Les appels à s’écarter des contraintes ne font-ils pas un peu diversion ? »
Ces solutions superficielles incluent des initiatives comme des ateliers de méditation, des formations sur la gestion du stress ou des journées de bien-être, qui, bien qu’agréables, restent déconnectées des réalités organisationnelles. Elles évitent de remettre en question des pratiques managériales délétères, comme l’hyperconnectivité, l’intensification des objectifs ou le manque de temps dédié à l’approfondissement des tâches.
L’auteur appelle à une analyse plus approfondie des causes de la surcharge mentale, en particulier les modèles d’organisation trop normés et les attentes irréalistes.
Le besoin de reconnexion au réel et à soi-même
Pour Tertrais, une des clés pour surmonter la surcharge mentale réside dans une réappropriation du travail par les individus. Il insiste :
« Prendre au sérieux ce besoin, c’est reconnaître un enjeu de santé. »
Les individus recherchent un sens à ce qu’ils font, et ce sens ne peut émerger que si le travail est aligné sur leurs valeurs et leurs capacités. Dans un environnement où le salarié n’est qu’un rouage d’un système dépersonnalisé, il est crucial de réintroduire des pratiques qui favorisent l’autonomie et la réflexion.
Ce besoin se manifeste aussi dans l’envie croissante des professionnels de trouver des activités manuelles ou des loisirs en dehors du cadre du travail, témoignant d’un désir de se reconnecter à des éléments concrets et tangibles après des journées de surcharge cognitive.
Une opportunité pour réinventer le travail
Laurent Tertrais conclut son analyse par un appel à repenser l’organisation du travail pour redonner aux salariés la capacité de s’organiser et de choisir leurs priorités. Il affirme que :
» La qualité du travail réside en effet dans sa subjectivisation. »
Cela implique de considérer le travail non seulement comme une série d’objectifs à atteindre, mais comme un processus d’apprentissage et d’expression personnelle.
Il plaide pour des organisations où les travailleurs disposent de temps pour réfléchir, tâtonner, corriger, et où l’on valorise la qualité du travail bien fait plutôt que la quantité produite.
Cette réinvention passe par un partage des responsabilités entre employeurs et employés, pour créer des environnements favorables à l’épanouissement et à l’efficacité durable. Il invite également à inscrire cette démarche dans une perspective collective, où les équipes réfléchissent ensemble à la manière d’améliorer leur fonctionnement.
En abordant avec finesse la surcharge mentale, Laurent Tertrais met en lumière un enjeu fondamental du monde professionnel actuel. Plus qu’un simple diagnostic, il propose une voie vers une transformation profonde des pratiques, plaçant les individus au cœur de la solution.
Auteur : Laurent Tertrais, Secrétaire national CFDT Cadres en charge des conditions de travail et rédacteur en chef de la revue Cadres.