28 mars 2024

Charge mentale au travail : la comprendre, la détecter et la réguler

par Lisa Jeanson

diffusé sur la Revue des Cadres CFDT

Le soir après le travail, je suis fatigué et j’ai mal au dos, au cou ou au poignet. Lorsque mes proches m’adressent la parole je suis absent et je m’énerve facilement. Bref, j’ai du mal à gérer mes émotions. Je fais rarement des pauses au travail car je n’ai pas le temps et je cours sans cesse derrière les deadlines. J’essaie de faire pleins de choses en même temps et pourtant, j’ai toujours l’impression d’être en retard et de ne pas avancer. Je commence tôt le matin et je finis de plus en plus tard le soir. Je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir ma boîte mail avant d’aller dormir et d’ailleurs, je dors mal. Je me réveille souvent la nuit et m’endors difficilement. Certaines pensées tournent en boucle dans ma tête. Est-ce que je vais réussir à boucler le projet à temps ? Est-ce que j’ai bien envoyé le tableau à untel ? Est-ce que j’ai invité unetelle à la réunion de demain ? Est-ce qu’elle m’a répondu ? Parfois, j’ai l’impression que mon cerveau me lâche. J’oublie les pièces jointes dans les mails, j’ai des difficultés à me concentrer, je me retrouve au milieu de la cuisine sans savoir pourquoi je m’y suis rendu.

Ce tableau vous est familier ? C’est celui de la surcharge mentale, ou plutôt d’un niveau de charge mentale inadaptée. La charge mentale est un construit multidimensionnel composé de la charge cognitive, de la charge psychique et de la pression temporelle. La charge cognitive correspond à l’effort objectif et mesurable nécessaire pour réaliser une tâche. Elle est identique pour tous pour une tâche et un niveau d’expertise donné.  La charge psychique est la manière dont on perçoit la charge cognitive, c’est le sentiment de charge. Elle varie selon énormément de critères comme le niveau de fatigue ou de motivation, l’état de santé, etc. La pression temporelle quant à elle, agit comme un curseur qui accentue ou amoindrit le sentiment de charge selon que la personne a plus ou moins de temps pour réaliser une tâche. Nous avons tous besoin d’un certain niveau de charge mentale dans notre quotidien, pour nous sentir stimulé et trouver du sens dans ce que l’on fait. Nous gérons tous également des pics de charge dus aux imprévus, à nos responsabilités, à nos proches, aux interruptions, aux deadlines, aux nouveaux outils, aux transformations de nos modes d’organisation et bien entendu à cause de la crise sanitaire. En temps normal, nous nous adaptons et mettons en place des stratégies pour gérer ces variations de charge. Par exemple, nous faisons appel à notre manager ou à nos collègues, nous priorisons et faisons passer certaines tâches à un rang secondaire ou encore nous prenons quelques minutes sur un temps « hors travail » pour rétablir l’équilibre. Ces stratégies sont plus ou moins coûteuses et contribuent à « tendre un peu plus l’élastique », mais elles nous permettent de retourner dans notre zone de confort où nos performances, notre bien-être et notre santé sont préservés.

Il arrive également que notre cerveau, ce tas de matière extrêmement feignant qui régit nos comportements, prenne le contrôle. Dans ce cas, par souci d’économie d’énergie, notre cerveau va par exemple « passer en mode automatique » et se réfugier dans des tâches habituelles, quitte à faire quelques erreurs au passage. Il peut aussi se concentrer sur un seul élément de notre environnement et occulter totalement les autres signaux perceptifs qui nous sont envoyés. On appelle cela l’« effet tunnel », la « tunnellisation », le « tunneling », ou encore la « cécité attentionnelle ». Citons l’exemple dans lequel un pilote d’avion et son instructeur occultent totalement le signal d’alarme leur indiquant qu’ils n’ont pas sorti le train d’atterrissage ! Dans un autre domaine, j’ai déjà vu des opérateurs sur des lignes de production industrielles monter des portes rouges sur des véhicules noirs ou encore des salariés tellement absorbés par leur ordinateur qu’ils n’entendaient pas l’alarme incendie. Un cas plus classique est celui de la pièce jointe que l’on oublie de joindre à un courriel. Notre cerveau n’est pas infaillible. Ces comportements sont des signes que la charge mentale est inadaptée, qu’elle dépasse les capacités des salariés, et qu’il faut agir. En effet, lorsque ces fameuses stratégies ne sont plus disponibles car trop coûteuses, que les pics de charge se suivent les uns derrière les autres et perturbent notre fonctionnement habituel, l’élastique se tend encore d’avantage et survient alors la surcharge chronique. Dans ce cas, il est impossible de repasser en zone de confort et le salarié reste en zone rouge le soir en quittant le travail et il est déjà à moitié surchargé le lendemain au moment de commencer sa journée. Très vite, le morcellement de l’activité et la baisse d’efficacité de ses fonctions cognitives de base (perception, mémorisation, rappel, allocation des ressources attentionnelles, etc.) lui font prendre du retard, ce qui engendre une hausse de la pression temporelle et un sentiment de charge élevé. Ce cercle vicieux mène trop sûrement le salarié si ce n’est au burnout, au moins à l’arrêt de travail, avec bien souvent des séquelles (difficultés à se concentrer, fatigue, troubles musculo-squelettiques, troubles de l’humeur, dysfonctionnement de la mémoire de travail, etc.).

La solution pour éviter cette situation ? Il faut repenser le travail et replacer l’Homme au centre. Avant toute chose, on doit savoir de quoi le travail est fait en analysant l’activité réelle. C’est le travail de l’ergonome. Cette étape est indispensable car cela nous permet d’objectiver la charge mentale ; de déterminer si on parle bien de surcharge cognitive, donc d’une charge de travail trop importante, ou de surcharge psychique, donc d’en sentiment de charge élevé. Ensuite, on peut aider les salariés à prendre conscience de ce qui les surcharge et à reprendre le contrôle de leurs agendas. On peut aussi venir en appui à la conception des postes de travail en s’assurant que les tâches, les outils et les interfaces, tels qu’ils sont conçus, ne génèrent pas une charge de travail trop importante. Dans les centrales nucléaires par exemple, des ergonomes interviennent pour la conception des salles de contrôle. Enfin, on peut également proposer l’animation d’ateliers de co-construction avec les managers, les chefs de projet et leurs équipes. Dans ces ateliers, on parle du travail réel et on définit et réadapte constamment des règles pour « mieux travailler ensemble ». Le collectif est une ressource puissante pour réguler la charge de travail et une fois que les équipes sont suffisamment montées en compétences, généralement, la présence de l’ergonome n’est même plus indispensable.

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